Le texte ci-dessous, paru en 1999 dans la revue ZOOP (43 rue Maréchal Foch, 01000 Bourg en Bresse) numéro 111, émane de la rédaction de La Faille, revue du groupe «Jules-Vallès» de la Fédération Anarchiste (Grenoble). J'ai répondu à ce texte dans «Bambi a froid».
Les multiples incompréhensions de notre position vis-à-vis de l'antispécisme (cf. La Faille n°2: article «Paix, amour, liberté et légumes») nécessitent une mise au point radicale afin de bien faire comprendre pourquoi les anarchistes ne peuvent faire l'apologie de telles élucubrations. Disons-le tout de suite, nous faisons une différence entre végétarisme et antispécisme: être végétarien, c'est choisir un régime – une façon que nous ne trouvons pas du tout pertinente – alimentaire particulier (et chacun est libre de choisir le sien), et être antispéciste, c'est le justifier d'une façon que nous ne trouvons pas du tout pertinente.
L'antispécisme constate l'exploitation de l'animal par l'Homme, qui trouve sa base dans l'idéologie du spécisme, c'est-à-dire la volonté de ne pas – ou moins – prendre en compte les intérêts de certains au profit d'autre en prétextant des différences réelles ou imaginaires. Cette idéologie du spécisme s'appuie sur la division en espèces de tout ce qui vit au sens biologique, division qui permettrait l'injuste domination d'une espèce, l'Homme, sur toutes les autres. Nous pratiquerions ainsi une oppression qutoidienne sur les divers animaux, sans même nous en rendre compte, car la chosification et l'exploitation des animaux seraient le produit d'un carcan culturel qui nous moule et nous aliène. La classification du vivant est donc «inégalitaire». Par exemple, l'Homme et les insectes n'ont pas la même position: l'Homme est une espèce (sapiens), appartenant à un genre (homo) dont il est le seul représentant. Les insectes, eux, sont une classe qui compte de nombreux ordres, genres et espèces. Tous les hommes (et femmes) appartiennent donc à la même espèce, mais pas les insectes.
A cette division Homme/animal, l'antispécisme oppose le postulat de leur égalité devant la souffrance: ils sont égaux car ils souffrent. Tuer c'est faire souffrir, et si l'intérêt de l'animal à ne pas mourir suffit à en faire un égal, le simple fait de vivre lui confère des droits, notamment celui de ne pas le faire souffrir en le mangeant. Même s'ils objectent que le respect de la souffrance n'est pas le respect de la vie, certaines déviances anti-I.V.G (surtout en Allemagne et en Angleterre) de leur part s'expliquent: si «manger de la viande c'est pas gentils» (ce sont leurs propres termes!) car ça tue des animaux qui souffrent, alors on peut facilement remplacer par «avorter c'est pas gentils car ça tue des embryons qui souffrent». Bref, pour ces gens-là, avoir une paire de chaussures en cuir suffit à vous qualifier de pseudo révolutionnaire, ou de pseudo anti-faschiste, ou encore de pseudo anti-sexiste (le prétexte étant que l'on reproduit un schéma d'oppression, et ça «c'est pas gentil»).
La vision que nous avons de l'Homme en temps qu'anarchistes est radicalement opposée à la leur. Nous ne pouvons pas résumer l'Homme à un ensemble de capacités biologiques. Entre l'Homme, et l'animal, le milieu biologique s'efface devant la culture et c'est ça qui fait toute la différence: n'importe quel être humain a les facultés de vivre n'importe où sur Terre, alors qu'une espèce donnée d'insectes, par exemple, ne le peut pas, car l'animal n'a pas pu se libérer des conditions liées à son milieu. L'Homme, par contre, grâce à son intelligence (intelligence ne signifie pas «bonté»), est capable d'une adaptation culturelle. L'Homme en relation avec son milieu n'est pas seulement en rapport avec celui-ci d'un point de vue physique mais également à travers différentes médiations socialement construites, en un mot, la culture. Entre l'animal et l'Homme, il y a donc un bond qualitatif: ce dernier a conscience de lui-même, il se pense comme existant et se projette vers le futur, alors qu'à ceci, l'animal répond par des comportements instinctifs, c'est-à-dire un ensemble de réactions innées et stéréotypées.
L'antispécisme, en vidant les notions de liberté et d'égalité de sens, nie les dimensions sociales et culturelles de l'Homme (imagination, création, réflexion, projection, innovation, art, ...), en le réduisant à une somme de capacités biologiques égale à n'importe quelle autre. En somme, ce n'est pas parce que la vie communautaire des fourmis apparaît sur de nombreux points semblable à la nôtre qu'il est logique de penser qu'une fourmilière est égale à une société humaine. La liberté et l'égalité, au sens où nous l'entendons, ne sont que sociales, c'est-à-dire qu'elles sont construites par des individus ayant des rapports sociaux entre eux, et ne sont pas du tout limitées au sens philosophiques du terme.
Postuler que la libération de l'homme passe par la libération animale revient à animaliser l'Homme, ou à humaniser l'animal. Dans ce cas, on rejoint la «philosophie Walt Disney»: Bamby il est gentil, et il réfléchit comme nous.
C'est à cause de toutes ces divergences que nous récusions les arguments antispécistes. Secte libertïde, retour des post babas cools ou jeunesse en manque de révolte? Qu'ils continuent à élaborer leur front de libération de tous les animaux, mais sans nous. On a autre chose à foutre que perdre notre temps à bomber les boucheries, actions qui doivent bien faire marrer le Pouvoir (tant qu'on s'attaque à ça, l'Etat peut dormir sur ses deux oreilles!).
Merde à ceux qui nous font chier avec tout ça!
Végétariens, antispécistes ou «viandistes», cela ne regarde que soi. Ne laissons personne essayer de diriger nos vies!
Salut à vous, salutations fanzinesques.