Dans le cadre des Estivales de la question animale édition 2016, j'ai fait une présentation sur le parallèle qu'on peut faire entre la révolution copernicienne, qui a mis fin à la position centrale qu'on attribuait à la Terre, et la révolution singérienne, qui a mis fin à la centralité éthique de l'humanité.
On trouvera ci-dessous le résumé que j'avais fait avant l'intervention. Sur la page correspondante des Estivales on trouve aussi un lien vers l'enregistrement audio de la conférence.
Le remplacement de l’héliocentrisme par le géocentrisme qui débuta avec les travaux de Nicolas Copernic (De revolutionibus orbium coelestium, 1532) ne fut pas que la permutation spatiale de deux corps, la Terre et le Soleil. Il impliquait une transformation fondamentale de notre vision de la physique à toutes les échelles de l’espace et du temps. Je pense qu’une transformation semblable dans la sphère de l’éthique est en cours, suite au mouvement de libération animale initié par Peter Singer (La Libération animale, 1975) et à la fin de l’humanocentrisme éthique que cela implique.
J’explorerai un parallèle entre ces deux décentrements:
– Abandon d’un côté de la physique d’Aristote, et de l’autre de l’éthique déontologique.
– Unification de «deux mondes»: d’un côté des mondes terrestres et du monde céleste, de l’autre du monde humain et du monde «naturel». Dans les deux cas, on avait une opposition entre un monde changeant, lieu de naissances, corruptions et morts, mais aussi de liberté et de perfectibilité, et un monde éternel, froid, indifférent, parfait. Cette division semblait nécessaire parce qu’on ne parvient pas à comprendre que les lois gouvernant le monde proche de nous (le monde terrestre, le monde humain) puissent s’appliquer aussi au monde lointain.
– Nécessité, pour effectuer cette unification, de l’établissement d’une pensée à deux niveaux. En physique, nous avons le niveau théorique et celui de l’ingénieur; en éthique (suivant R.M. Hare), le niveau «critique» et celui, «intuitif», de la vie quotidienne.
– Dans les deux cas, le niveau le plus abstrait est nécessaire pour permettre à un même ensemble de lois générales de s’appliquer en des circonstances différentes; et en particulier, aux lois s’appliquant au monde proche de s’appliquer au monde lointain.
En éthique, comme en physique, l’unification du proche et du lointain choque. Nous connaissons les efforts qu’a dû déployer Galilée (Dialogo sopra i due massimi sistemi del mondo, 1632) pour montrer sur la base de la relativité du mouvement que la Terre pouvait se déplacer autour du Soleil; alors que dans notre expérience quotidienne, nous sommes immobiles. L’unification des «deux mondes» de l’éthique implique aussi de nous «rassurer» en montrant comment les lois générales de l’éthique – lois conséquentialistes, centrées sur la sentience – peuvent bien s’appliquer y compris au monde humain, alors que cela peut choquer nos intuitions déontologiques.