Dans le cadre des Estivales de la question animale édition 2009, j'ai fait le mercredi 19 août 2009 une intervention sur la question de l'identité personnelle, et sa pertinence pour la question animale.
On trouvera ci-dessous le texte d'annonce que j'avais rédigé pour cette conférence suivi des diapositives utilisées. Celles-ci sont disponibles aussi en format «OpenOffice».
Texte d'annonce de la conférence
La reconnaissance de la sentience des animaux est au cœur des discours du mouvement animaliste. Cependant, nombre de conséquences que l'on veut tirer de la sentience présupposent plutôt une autre notion, celle d'identité personnelle. Le point de vue que je défends est que la sentience existe bien, mais que l'identité personnelle, pour l'essentiel, n'existe pas. Cela est en décalage avec notre perception habituelle des choses, et a des implications profondes dans de multiples domaines, dont l'éthique, et particulièrement l'éthique du traitement des animaux non humains.
L'identité personnelle
La sentience désigne l'existence de sensations, comme la souffrance, le plaisir, la perception d'une couleur, etc. L'identité personnelle, c'est l'idée selon laquelle chacun de ces «événements de sentience» doit être nécessairement ressenti par quelqu'un, c'est-à-dire rapporté à une entité qui subsiste dans le temps, comme témoin inchangé du flux changeant des sensations. Par exemple, si nous disons qu'à 20 heures «Paul a faim», mais qu'à 23 heures «Paul a sommeil», nous supposons l'existence d'une même entité – «Paul» – qui à 20 heures a faim, et à 23 heures a sommeil.
L'identité personnelle de Paul ne se confond pas avec la simple existence matérielle de Paul comme ensemble de molécules. Elle est plutôt comparable à l'idée que l'on se fait souvent d'une nation, indépendamment d'un territoire matériel ou de ses habitants. De fait, en tant qu'entités matérielles, nous changeons tous continuellement, à chaque respiration; et au bout de quelques années, la plus grande partie de nos molécules ont été renouvelées. Notre identité personnelle est malgré cela supposée subsister intacte.
Critique de l'identité personnelle
L'idée que toute sensation doit nécessairement être perçue par quelqu'un peut sembler évidente. Nous avons l'impression que le «je» est un fait immédiat d'expérience. Le «je pense» de Descartes, dont il déduisait l'existence du «je», paraissait fondé sur une évidence subjective immédiate. Pourtant, ce qui est un fait immédiat d'expérience, c'est la pensée, mais non le «je». Le «je» n'est pas perçu; il est simplement postulé.
L'existence de l'identité personnelle n'est ainsi soutenue ni par notre subjectivité – puisque ce n'est pas un objet que nous percevons – ni «de l'extérieur» par les investigations objectives que l'on peut faire sur le fonctionnement de notre cerveau. On ne voit pas finalement ce qui fonde la croyance en son existence.
Conséquences de cette critique
Les conséquences de la critique de l'identité personnelle sont nombreuses. Les éthiques déontologistes («théories des droits») sont fortement dépendantes de l'idée d'identité personnelle; sa critique les met en difficulté, au profit à l'inverse de l'utilitarisme classique (hédoniste). Dans le domaine économique, la critique de l'identité personnelle est corrosive à l'égard du libéralisme de principe. Elle me semble salutaire aussi dans la perspective de la compréhension physique de la sentience.
Un des problèmes majeurs que doit affronter l'éthique étendue aux animaux non humains est celui de la mort. Il n'est pas difficile d'attribuer une même gravité à une même souffrance infligée à un humain et à une fourmi. Pourtant, peut-on en dire de même du fait d'infliger la mort? Tuer une fourmi est-il aussi grave que tuer un humain typique? Il semble difficile de répondre positivement. Il semble en fait difficile déjà de dire en quoi tuer un individu donné – qu'il soit humain ou fourmi – est un mal. La critique de l'identité personnelle permet de reformuler le problème, et de tirer des conclusions qui peuvent sembler surprenantes, contre-intuitives voire scandaleuses, concernant tant les fourmis que les humains; mais qui permettent d'avancer dans un cadre plus réaliste, et à mon avis mieux fondé, vers une éthique non spéciste.
Diapositives