Est-il important de le savoir? Oui: car même si on peut vouloir relativiser l'importance de l'intelligence et/ou relativiser la validité du concept lui-même, il est important aussi de savoir que cette idée dont chacune de nous est imbibée depuis l'enfance, et qui apparaît simplement prouvée, scientifique, objective, selon laquelle ce sont les humains qui ont le plus gros cerveau, est loin d'être une simple constatation objective.
Le plus gros cerveau: la baleine
Le cerveau du cachalot pèse environ 7 kg, soit plus de cinq fois plus que les 1300 grammes du cerveau humain.
Les éléphants eux aussi ont un cerveau bien plus gros que les humains: environ 5 kg.
Ah oui, mais c'est triché! Le cachalot est bien plus gros qu'un humain; il est normal qu'il ait un gros cerveau!
Regardons donc qui a le plus gros cerveau relativement à la taille de son corps.
Le plus gros cerveau: le moineau
Si on divise la masse du cerveau par la masse corporelle, on obtient les chiffres suivants, selon la page http://serendip.brynmawr.edu/bb/kinser/Int3.html:
- Petits oiseaux: 1/12
- Humains, souris: 1/40
- Chats: 1/100
- Éléphants: 1/560
- Requins: 1/2500
Ça ne marche toujours pas, les humains ne sont toujours pas premiers!
Ouf! enfin on y arrive: le plus cerveau = les humains!
Avec beaucoup de candeur, la page citée ci-dessus constate ces "incohérences" - c'est-à-dire le fait que le calcul ne donne pas le résultat voulu à l'avance, à savoir que ce sont les humains qui ont le plus gros cerveau:
In order to remedy inconsistencies in the simple ratio method, let us try "allometry" . The following equation was developed in the late 19th century by Snell: E=CS^r, where E is the weight of the brain, S the body weight, C is a constant "cephalization factor", and r an epirically determined exponential constant. Kuhlenbeck suggests this value to be around 0.56 for mammals. Macphail asserts that this exponent would be approximately 0.66 for most mammals.
Once an acceptable value of r is determined, (...)
En somme, pour parvenir au résultat voulu, on complique la formule, en y introduisant un paramètre ajustable r; et on considère comme "acceptable" la valeur de ce paramètre qui - enfin! - permet d'attribuer aux humains le plus fort "taux d'encéphalisation".
Dans tout autre domaine, un tel "bidouillage" visant ouvertement à obtenir un résultat préétabli serait perçu comme illégitime, ou pour le moins douteux; on hésiterait beaucoup à y faire référence comme donnée objective fondant le résultat en question. Pourtant, c'est précisément ce que l'on fait constamment quand on affirme que les humains ont, tout simplement, le plus gros cerveau de la création.
Masse, nombre de neurones, etc.
Le cachalot a un très gros cerveau; il est lui-même gros. Il peut sembler "évident" qu'un animal plus gros ait un plus gros cerveau tout comme il aura, par exemple, un plus gros foie ou un plus gros cœur.
D'un autre côté, si on voit le cerveau comme l'organe de la pensée, pourquoi un plus gros animal devrait-il penser plus? Il lui faut un plus gros cœur pour pomper plus de sang; mais quel rapport entre un plus gros corps et un plus gros cerveau?
Une réponse peut être que le cerveau ne fait pas que penser; il sert en grande partie à contrôler les mouvements et processus automatiques du corps et à recevoir les informations sensitives. On peut comprendre alors qu'un corps plus gros nécessite un cerveau plus gros pour le sentir et contrôler. Mais ces processus sont en grande partie inconscients, et ne concernent pas la plus ou moins grande capacité à penser.
Chez les humains, moins d'un tiers des neurones font partie du prosencéphale; le reste - tronc cérébral et cervelet - semble ne gouverner que des processus inconscients, de maintien automatique de la posture et de régulation métabolique. Dans ces conditions, quelle signification a, en termes de "fonctions supérieures", le fait que nous possédions un gros cerveau?
Une autre réponse peut être qu'un corps plus gros peut facilement se permettre d'avoir un plus gros cerveau. Le cerveau consomme beaucoup d'énergie, et si cerveau plus gros = plus d'intelligence, cette intelligence serait un luxe que ne peut pas se permettre le métabolisme d'une souris; mais que peut facilement se permettre le métabolisme d'une baleine. Mais alors: la taille corporelle de la baleine expliquerait son gros cerveau, mais ne rendrait pas pour autant ce gros cerveau moins significatif en termes d'intelligence: la baleine conserverait la palme du gros cerveau, du cerveau le plus intelligent.
Enfin, pourquoi devrait-on porter attention à la masse du cerveau, plutôt que, par exemple, au nombre de neurones? Les neurones individuels varient énormément en taille, à l'intérieur d'un même cerveau, et aussi entre espèces. Un neurone peut aussi avoir un nombre très variable de synapses. Enfin, dans un cerveau humain pour chaque neurone il y a environ dix cellules gliales; doivent-elles ou non compter?
Qu'est-ce qui doit nous intéresser ici? Quantité d'intelligence, quantité de sentience.
«Sentience and Brain Size», post de forum par Alan Dawrst, sur la sentience et la taille du cerveau (en anglais).