Articles de la semaine

Avortement et libération animale

Article n°14, 6 juillet 2023

Les fœtus humains sont des humains.

Si c'est l'espèce qui détermine la valeur de la vie d'un individu, alors l'avortement est un meurtre.

Sans remise en question du spécisme, il n'y a pas de défense crédible du droit à l'avortement.

Les adversaires de l'avortement attribuent une grande importance à la fécondation, qui fixe l'identité génétique de l'être. Ainsi, même les catholiques traditionalistes, qui condamnent la contraception, ne la qualifient pas de meurtre, contrairement à l'avortement. Pour les adversaires de l'avortement, l'essence d'un être se trouve bien semble-t-il dans son identité génétique. Cette idée à mon sens absurde – car si notre génome nous détermine, c'est au même titre que n'importe quel facteur environnemental, et l'«inné» n'a pas un statut différent de l'«acquis» – est centrale dans le racisme, le sexisme et le spécisme. On n'est certes pas nécessairement raciste, sexiste ou spéciste si on professe une telle idée; mais la libération animale peut plus aisément s'en passer que s'en accommoder.

On ne peut nier qu'il y ait des personnes qui s'opposent à la fois à l'avortement et à l'exploitation des animaux par les humains. Leur position me paraît cependant aller à contre-courant de la logique de la libération animale.

La nature ne choisit pas

Article n°13, 25 mai 2023

Le sens fondamental du darwinisme est que l'énorme foisonnement de la vie peut s'expliquer sans recours à un dessein, à une finalité ou à ... une sélection. Ce dernier terme renvoie à l'idée de choix, donc d'intention, et Darwin n'a parlé de «sélection naturelle» que par analogie avec la celle menée par les éleveurs, qui, elle, procède bien d'un but.

Malheureusement, un siècle et demi après Darwin persiste dans le public, mais aussi chez les biologistes qui se croient darwiniens, l'usage systématique d'un langage finaliste. Ce n'est pas qu'une question de mots: le darwinisme, analyse des mécanismes aveugles qui causent l'évolution, s'est transformé dans l'esprit de pratiquement tous en la description des moyens qu'emploierait Nature pour parvenir à ses fins: «sélectionner» les «plus aptes», «rejeter» les «faibles» et «contrefaits», afin d'établir et maintenir son ordre cruel mais beau et harmonieux.

Il faudrait faire une histoire du darwinisme jusqu'à nos jours, une histoire de la récupération, immédiate, du darwinisme par la droite, à travers le «darwinisme social». La gauche s'est beaucoup mobilisée là-contre, sur le thème de «ce n'est pas pareil, les humains c'est des humains, pas des animaux». Elle aurait mieux fait de dire, simplement, «le darwinisme social, ce n'est pas du darwinisme. Cela n'a rien à voir.» (...) Mais elle ne l'a pas fait, elle a raté le coche du darwinisme, parce qu'elle aussi était embourbée dans le finalisme, le naturalisme, qu'elle ne voulait pas abandonner, parce qu'elle était spéciste.

Alors, on pourra les manger?

Article n°12, 18 mai 2023

L'humanisme, c'est le suprémacisme humain. Mais c'est aussi un identitarisme féroce, bien plus attaché à la défense de notre essence qu'au bien réel des êtres humains concrets. C'est ce qui se joue dans l'étrange levée de boucliers qui s'est faite à l'encontre de l'idée de clonage humain.

On reproche souvent aux antispécistes de «banaliser» ou de «relativiser» les camps de la mort nazis ou tel autre grand massacre d'humainEs en les comparant aux élevages et aux abattoirs d'animaux non humains. Nous comparons pourtant massacres et massacres, horreurs et horreurs. Le Pr. Mattei met, lui, sur le même plan – celui du «crime contre l'humanité» – le meurtre hitlérien de six millions de Juifs/ves et la conception, dans des conditions techniquement particulières, d'un enfant, heureux ou non d'ailleurs. Qui banalise? Qui se fiche des souffrances réelles, du sort réel des individuEs? Les humanistes ou les antispécistes?

Le Manifeste de la Veggie Pride

Article n°11, 11 mai 2023

La Veggie Pride, Paris, 13 octobre 2001: la première manifestation en France, sans doute au monde, centrée sur le refus de manger les animaux au nom des intérêts des animaux. Début de son manifeste:

Refuser de voler à des êtres sensibles le seul bien qu'ils possèdent, leur propre chair, leur propre vie; refuser de participer à un système concentrationnaire qui fait de cette vie tant qu'elle dure un enfer permanent; refuser de faire ces choses pour le seul plaisir d'un goût, par habitude, par tradition: ce refus devrait être la moindre des choses.

L'histoire montre cependant à quel point, lorsque la barbarie est la norme sociale, il est difficile de dire non.

Nous voulons affirmer notre fierté à dire ce «non».

Sur un certain sophisme concernant le concept darwinien d'adaptation

Article n°10, 4 mai 2023

On connaît le sophisme naturaliste, qui consiste à croire que le naturel est forcément bien. Il est généralement accompagné de l'«illusion naturaliste», ou sophisme de l'adaptation inverse, que je critique dans ce court article.

L'idée d'adaptation, ou d'optimisation, évoque la perfection, l'harmonie, la félicité. L'harmonie entre deux partenaires est une relation réciproque. Il est donc facile d'oublier que l'adaptation est asymétrique: l'organisme s'adapte à l'environnement et non l'inverse. Le génome de l'organisme, et donc son phénotype, est (idéalement) le meilleur possible pour un environnement donné; cet environnement, par contre, n'est généralement pas le meilleur possible pour l'organisme, aussi bien que ce dernier s'y soit adapté.

Contribution au débat à la Maison de l'écologie: vers un écologisme non naturaliste

Article n°9, 27 avril 2023

Je ne suis pas écologiste – mais je le suis aussi, à condition que l'écologie se débarrasse de son naturalisme réactionnaire et devienne une écologie non seulement de conservation mais aussi de transformation de notre maison commune au bénéfice de tous ses habitants sentients.

(...) je pense qu'il peut exister une écologie antinaturaliste, une écologie de l'artificiel, de l'innovation, de la liberté, un écologisme antispéciste, qui permette de rassembler une grande part des motivations et élans réels de bon nombre d'écologistes. Je dirai aussi qu'il s'agit, à mon avis, du seul avenir possible pour l'écologisme.

Refonder le progressisme

Article n°8, 20 avril 2023

Dans cet interview réalisé par Martin Gibert, j'aborde en particulier la question du progressisme – qui, aujourd'hui, semble bien mal en point, mais qui pourrait se reconstruire avec l'apport antispéciste.

Il nous faudra refonder les idées «de gauche», progressistes, en nous libérant des schémas révolutionnaires, qui nous font espérer un «Grand Soir» éliminant d'un coup le Mal. Pour affronter la question de la souffrance des animaux sauvages, il faudra du temps; des siècles, des millénaires, et plus. Nous devons apprendre à penser à long terme. Les révolutionnaires se définissent souvent par opposition aux «réformistes», qui manqueraient d'ambition. Je pense que c'est le contraire qui est vrai. Si on espère que tout change en un temps court, on se rend aveugle aux problèmes qui ne peuvent se résoudre en un temps court. On limite son champ. C'est là une raison de l'hostilité de beaucoup d'anarchistes et marxistes aux conceptions de la libération animale.

Si je suis hostile au concept de révolution, je suis au contraire favorable à l'idée de ce que j'appelle l'évolution profonde. Il s'agit de reprendre une large part des espoirs qu'on classe habituellement à gauche, mais sans les oripeaux du mysticisme marxiste.

Bambi a froid

Article n°7, 13 avril 2023

«Moi radical, toi ridicule» – telle est la réponse que les fiers, froids et égoïstes «révolutionnaires» font à la remise en cause de leurs habitudes carnassières. Je leur ai répondu à mon tour.

«Bambi il est gentil», nous faites-vous dire. «Moi radical, toi ridicule.»

Oui, nous sommes ridicules, puisque nous vous faisons rire. Mais vos rires sont odieux. Ce sont les mêmes rires qui accueillent quotidiennement les «mal baisées» et les «pédales». Les antispécistes n'ont jamais dit «Bambi il est gentil»; moi, en tout cas, je ne l'ai jamais dit. C'est un tort. À l'heure où les gouines et les pédés sortent du placard, il est temps que les puériles comme moi osions nous aussi nous déclarer publiquement.

Pourquoi je ne suis pas écologiste

Article n°6, 6 avril 2023

Texte ancien, mais toujours bien d'actualité, tant il reste important de distinguer l'animalisme, c'est-à-dire la considération des intérêts des êtres sentients, de la préoccupation, foncièrement réactionnaire, pour la sauvegarde d'un «ordre naturel» de violence et de souffrance.

Lion tenant un humain entre les dents, lequel dit: «Finalement, la nourriture artificielle pour les lions, c'est pas si mal.»

Je m'oppose aux écologistes parce que pour eux, le renard qui mange le lièvre c'est bien, tant que cela «préserve l'équilibre naturel», alors que moi, je vois la souffrance du lièvre. Il faut avoir l'esprit pas mal fermé à ce que cela représente dans la réalité pour trouver cela «bon». Les écologistes ne voient dans la nature que des espèces; sans l'intervention de l'homme, ces espèces varient peu, du moins, pas à vue d'œil; l'impression de stabilité qui en résulte donne un vague sentiment de repos, de sécurité; et ils parlent alors d'harmonie de la nature.

La torture est permanente en Amérique latine; est-elle harmonieuse? Les écologistes trouvent bon que le renard tue le lièvre, parce que cela préserve un ordre. La torture aussi préserve un ordre.

Sur l'abattage rituel

Article n°5, 30 mars 2023

L'abattage rituel est bien un sujet légitime pour l'animalisme. Ce qui est en cause, ce n'est pas la liberté religieuse, mais l'idée selon laquelle chacun peut exiger de manger les animaux.

Les personnes juives ou musulmanes sont promptes à mettre en avant leur liberté religieuse lorsqu'il est question d'interdire l'abattage rituel. Mais c'est là un argument de mauvaise foi. Ce qu'elles défendent en réalité, ce n'est pas leur liberté religieuse, mais leur liberté de manger de la viande. (...) Ce n'est pas le juif ou le musulman en elles qui parle quand elles protestent contre une telle interdiction; c'est le mangeur de viande, qui se cache derrière sa religion, l'exploitant comme un paravent (...).

D'une convergence des luttes à l'autre

Article n°4, 23 mars 2023

J'ai présenté cette conférence dans le cadre des Estivales de la question animale 2018. J'y critique l'approche actuelle qui règne au sein des luttes d'émancipation humaines (antiracistes, antisexistes, LGBTI, contre l'injustice économique...):

  • l'approche de ces luttes est fortement influencée par le spécisme et une vision réactionnaire du monde;
  • elle est incompatible avec la lutte animaliste;
  • elle doit être remise en cause, dans l'intérêt aussi des luttes émancipatrices humaines elles-mêmes.
Diapositive 21 de la conférence «D'une convergence des luttes à l'autre»

En somme, la convergence des luttes doit bien se faire, mais largement dans l'autre sens.

La page de présentation de cette conférence donne, outre un lien vers l'enregistrement vidéo de cette conférence, son sommaire, la liste des diapositives utilisées, des transcriptions et des extraits vidéo correspondant à chacun des passages.

Je suis convaincu que le mouvement progressiste actuel s'est largement fourvoyé, et que l'antispécisme – c'est-à-dire, le point de vue rationaliste et sentientiste – est la clé de sa remise sur les rails.

Manifeste pour l'abolition de l'apartheid international

Article n°3, 16 mars 2023

Ce court texte écrit en 1997 par Yves Bonnardel et moi-même aurait voulu être le début d'un mouvement; nous ne sommes pas parvenus à lui donner l'élan nécessaire.

Son principe reste cependant toujours aussi valable, et autant d'actualité: la discrimination des humaines en fonction de la nationalité n'est pas plus justifiée que celle en fonction de leur race ou de toute autre caractéristique arbitraire, réelle ou imaginaire.

En fonction de ce critère arbitraire de nationalité, les États accordent ou refusent aux individues humaines le droit de séjourner sur leur territoire, ainsi que l'accès aux avantages sociaux dont bénéficient les natifves.

Voir aussi les explications des initiateurs du Manifeste.

Traditions... transitions

Article n°2, 2 mars 2023

L'argument «traditions» a envahi le champ politique. La «ruralité» ne se définit plus que comme des traditions. Le mariage réservé à «un homme et une femme» est défendu en tant que «mariage traditionnel». L'idée de «France terre chrétienne» est défendue non par des arguments en faveur de l'existence de Dieu et du Christ, mais simplement parce que c'est notre tradition. Même la guerre que la Russie mène contre l'Ukraine est explicitement justifiée au nom de la préservation des valeurs traditionnelles promues par la première.

Dans cet article paru en 2000, j'ai argumenté que la multiplication du recours à l'argument «tradition» est le «chant du signe» de ces pratiques qu'on ne parvient plus à justifier par de vrais arguments. Car la notion de tradition est vide, contradictoire.

La tradition n'a en effet de valeur que si elle est authentique; mais par construction, elle ne peut être qu'inauthentique:

(...) toute tradition est, par définition, une copie. Une tradition est la reproduction d'une activité ancestrale. Elle est tradition dans la mesure même où elle est copie; dans la mesure où elle est «vraie», c'est-à-dire est motivée par autre chose que la simple volonté de copier, elle n'est en fait pas une tradition, mais une technique.

Les humains sont des animaux

Article n°1, 23 février 2023

Écrit il y a près de trente ans, ce texte me semble encore tout à fait d'actualité. À l'encontre tant de l'animalisme vengeur, qui se complait dans la haine de l'humain, que de l'animalisme qui se tient à la remorque d'une «gauche» qui ne veut pas de lui, je propose une vision globale et progressiste de notre tâche politique.

Les humains sont, qu'on le veuille ou non, aux commandes de la planète. Cela résulte des hasards de l'évolution; si ce n'était pas nous, ç'aurait peut-être été, dans quelques millions d'années, une autre espèce. Mais il se trouve que c'est nous. Du coup, la politique “humano-humaine”, ça ne concerne pas que les humains. La santé mentale de l'humanité, sa capacité à la bienveillance, importe pour le bonheur de tous: pour le bonheur des humains et des non-humains. Malheureusement, cette santé n'est pas au mieux. Pour la soigner, je ne vois pas l'utilité qu'il y aurait à s'associer, au nom d'un mythique résultat rapide, avec des gens dont les idées vont, pour une part essentielle, diamétralement à l'encontre du but recherché, vont dans le sens de la haine et de la désolation.

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