Sur un certain sophisme concernant le concept darwinien d'adaptation

Par David Olivier Whittier

J'ai publié cet article le 8 mars 2019, sur le blog que je tenais alors.

Résumé: Les processus darwiniens d'évolution amènent à une «adaptation» de l'organisme à son environnement, mais non de l'environnement à l'organisme. Adaptation ne veut donc pas dire harmonie. Il n'y a en particulier aucune raison de penser que l'environnement naturel d'un organisme est le meilleur pour lui.

 

Pour une critique de l'expression «sélection naturelle», voir «La nature ne choisit pas».

Du fait du mécanisme communément appelé «sélection naturelle», les organismes tendent à s'adapter à leur environnement. Cette adaptation peut être décrite comme un processus d'optimisation, qui conduirait dans l'idéal l'organisme à être adapté de façon parfaite à son environnement.

L'idée d'adaptation, ou d'optimisation, évoque la perfection, l'harmonie, la félicité. L'harmonie entre deux partenaires est une relation réciproque. Il est donc facile d'oublier que l'adaptation est asymétrique: l'organisme s'adapte à l'environnement et non l'inverse. Le génome de l'organisme, et donc son phénotype, est (idéalement) le meilleur possible pour un environnement donné; cet environnement, par contre, n'est généralement pas le meilleur possible pour l'organisme, aussi bien que ce dernier s'y soit adapté.

Par exemple, l'affirmation suivante est familière à quiconque a assisté à un débat sur les aliments végétaliens pour chats: «Un chat devrait être nourri avec de la viande, car c'est à ce régime qu'il est adapté.» L'expression est un non-sequitur. Au sein d'un certain environnement dans lequel, par exemple, la matière végétale cuite et pauvre en fibres n'était pas disponible, le génome et la physiologie du chat ont évolué jusqu'à devenir les meilleurs possibles pour que le chat puisse s'épanouir dans cet environnement-là. Il ne s'ensuit pas que l'environnement soit devenu le meilleur possible pour la physiologie du chat.

Un autre exemple sera encore plus net. Dans un environnement peuplé de prédateurs – disons, de renards – les lièvres ont développé des membres postérieurs longs et forts qui ont augmenté leur capacité à fuir. Cette adaptation impliquait un compromis, comme c'est typiquement le cas: entre l'investissement de ressources dans les membres et le risque d'être pris par un renard. Des membres postérieurs plus grands signifieraient de meilleures chances de survie et donc de produire une progéniture, mais aussi moins de ressources pour la production et l'élevage de cette progéniture. Un lièvre parfaitement adapté aura une taille de membres postérieurs qui maximise l'espérance du nombre de petits, compte tenu de la densité de renards dans l'environnement. Cela ne veut évidemment pas dire que pour ce lièvre parfaitement optimisé, le meilleur environnement est celui qui a cette densité de renards. En effet, ce lièvre, bien qu'il soit adapté de façon optimale à un environnement contenant une certaine densité de renards, s'en tirerait encore mieux dans un environnement sans renards du tout.

Il se peut toutefois que l'adaptation d'un organisme à un environnement le rende incapable de subsister dans certains autres environnements qui lui étaient initialement favorables. Par exemple on nous conseille, quand nous prenons un cactus comme plante d'intérieur, de ne pas trop l'arroser car il est adapté à un environnement sec. Nous avons vu l'erreur de ce raisonnement, mais la conclusion est peut-être juste, c'est-à-dire que les cactus de fait ne se développent pas dans un environnement humide. Je n'en connais pas la raison; mais je peux imaginer, pour les besoins de l'exemple, que les cactus peuvent avoir perdu leurs défenses contre les parasites tels que les moisissures, celles-ci étant rares dans les milieux secs. Une humidité plus élevée que dans son milieu naturel peut être favorable au cactus en satisfaisant mieux ses besoins en eau, mais par ailleurs défavorable en induisant le développement de moisissures. Le résultat est que non seulement le cactus est adapté à un environnement sec, mais aussi que l'environnement paraît «adapté» – optimal – pour le cactus.

Cela n'est vrai, cependant, que dans un sens limité: lorsque l'on considère seulement un ensemble limité d'environnements possibles. Dans un autre environnement, où il y a plus d'eau mais d'où les moisissures ont été éliminées – au moyen de pesticides ou autrement – le cactus peut se développer encore mieux que dans son environnement «naturel» sec.

Dans le cas des chats et de leur alimentation, on peut très bien affirmer que la viande est le meilleur aliment pour chats, parmi les types d'aliments disponibles dans l'environnement naturel ou traditionnel d'un chat. Mais des formules artificielles végétaliennes bien conçues peuvent être encore meilleures.

L'harmonie, j'ai noté, est une relation réciproque, et l'adaptation n'est pas réciproque. Il est important d'éviter le sophisme de l'adaptation inverse et de garder à l'esprit que l'adaptation darwinienne est toujours de l'organisme à l'environnement. Ce n'est pas un processus d'harmonisation.