L'antispécisme, thèse modeste et forte

Par David Olivier Whittier

La conférence que retrace cette page est celle que j'ai donnée aux Estivales de la question animale 2021 pour rappeler la définition à mon sens fondamentale de la notion de spécisme. Elle permet de montrer, en particulier, de manière convaincante le caractère injustifiable de cette discrimination.

La conférence dure environ 34 minutes, à partir du repère 3:28.

Les diapositives de la conférence sont reproduites ci-dessous, accompagnées chacune de la transcription de la partie correspondante.

L'ensemble de la transcription, en un seul morceau, est reproduite aussi après les diapositives.

Introduction

Repère vidéo 03:28

Diapositive n°01.
1.

Merci. J'ai une demi-heure en principe pour faire cette présentation sur la question de ce qu'est le spécisme. Je vais essayer de faire vite parce qu'on a un peu de retard sur le programme.

Je vous remercie tous d'être là, ici dans la salle, et qui nous regardez en direct. Je remercie aussi les Estivales de m'avoir invité pour faire cette présentation de cette notion du spécisme, qui est, je pense, centrale, même si on peut très bien être animaliste sans se dire antispéciste – il y en a, et l'antispécisme n'est pas un credo.

Et aussi, il y a différentes façons de définir le spécisme. Celle que je présente est celle qui, je pense, est la plus modeste et donc la plus forte dans un sens, c'est à dire celle qui permet le plus d'enfoncer un coin dans le système spéciste.

L'antispécisme, la définition

Repère vidéo 04:36

Diapositive n°02.
2.

Qu'est ce que l'antispécisme?

C'est comme quand on dit qu'on est antiraciste ou antisexiste: on est contre quelque chose, donc on est antispéciste quand on s'oppose au spécisme, et le spécisme c'est la discrimination entre les individus en fonction de leur espèce.

Ça, c'est une définition très ramassée. On va voir qu'il y a besoin de préciser un certain nombre de choses.

Tout comme on parle de racisme comme étant discrimination en fonction de la race, du sexisme comme discrimination en fonction du sexe, le spécisme, c'est en fonction de l'espèce.

Alors, qu'est ce que c'est que l'espèce? En deux mots: on parle d'espèce humaine, d'espèce «chat», d'espèce «chien», «porc», «saumon», etc. C'est donc, à la base, une division biologique qui classe les individus en groupes qu'on appelle «espèces».

Quand on parle de spécisme, il pourrait s'agir de s'opposer à la discrimination entre les chiens et les chats, par exemple, mais en fait ce qu'on a vraiment en tête c'est la discrimination entre les humains d'une part, qui sont une espèce animale, et les autres animaux, donc au détriment des autres animaux et en faveur des humains.

Repère vidéo 05:52

Diapositive n°03.
3.

Quand je parle de discrimination, il s'agit de discriminations entre individus; il faut bien comprendre que la question n'est pas celle de dire: «Est-ce que tel groupe, que telle espèce est plus importante que telle autre espèce, ou plus intelligente», etc.; il s'agit d'une question d'individus, de discrimination contre un individu en faveur d'un autre individu.

Par exemple, on ne tue pas un être humain – ça constitue un grand crime de tuer un être humain – mais il est parfaitement anodin de tuer un cochon. Donc c'est une question entre individus et la manière dont on les traite.

Le spécisme et l'antispécisme, ce sont des positions qui appartiennent au champ de l'éthique. Quand je dis qu'il s'agit du champ de l'éthique, cela ne veux pas dire que le spécisme ou l'antispécisme ont raison, sont des comportements justes, mais simplement que ce sont des thèses dans le champ de l'éthique, des thèses qui concernent l'éthique.

La définition que je prends du spécisme, donc de l'idéologie contre laquelle je me bats, est celle-ci:

«Le spécisme est l'affirmation selon laquelle l'espèce d'un individu constitue en soi un critère éthique pertinent.»

L'expression «en soi» est ici extrêmement importante, je vais passer plusieurs diapos sur cette question.

Repère vidéo 07:22

Diapositive n°04.
4.

Mais d'abord, voyons l'expression «critère éthique pertinent», pour qu'il soit clair de quoi on parle. Il y a différentes façons de concevoir l'éthique, c'est-à-dire la question de la façon juste d'agir. Aussi, certaines personnes incluent dans l'éthique le jugement sur la nature des êtres, consistant à dire que certains êtres sont d'une nature supérieure ou inférieure, ou encore que certains êtres sont coupables, ou sont innocents... Certaines personnes disent que l'éthique, ça concerne le fait de déclarer qui a des droits, que certaines personnes ont des droits, ou que ça concerne l'attribution de dignité, ou l'attribution d'une valeur à la vie, dire que telle personne vaut plus que telle autre personne, etc.

Donc toutes ces questions sont considérées classiquement comme faisant partie de l'éthique. Pour moi, l'éthique c'est à la base la question de la manière dont on traite un être, et comme je disais, la question ici est de savoir pourquoi on considère qu'il est normal de tuer un cochon simplement parce qu'on aime le goût de sa chair, alors que, pour un humain, ce serait une chose considérée comme extrêmement grave.

Toutes ces façons de définir l'éthique sont compatibles avec la définition que j'ai donnée du spécisme, c'est à dire avec le fait de dire qu'il s'agit de prendre l'espèce comme critère éthique. Par exemple, on dira: «Les cochons n'ont pas de droits, mais les humains ont des droits, parce que les cochons n'appartiennent pas à l'espèce humaine»; que les humains ont une nature supérieure parce qu'ils appartiennent à l'espèce humaine, que les humains et eux seuls ont une dignité, etc.

C'est-à-dire que la définition que je donne du spécisme n'est pas spécifique à une vision éthique particulière. Je pense que ce fait est assez important parce que souvent quand on parle de spécisme et d'antispécisme, on va nous demander de justifier tel ou tel système éthique. Là, je suis simplement en train de dire: penchons-nous sur la question de savoir pourquoi l'espèce serait un critère éthique.

Repère vidéo 09:41

Diapositive n°05.
5.

Voici un exemple de la manière dont on discrimine en fonction de l'espèce. Quand on dit «c'est un humain», donc membre de l'espèce humaine, sa vie est sacrée et c'est extrêmement grave de le tuer; «c'est un cochon», donc membre d'une autre espèce, donc sa vie n'a aucune importance, le tuer est un acte anodin. Ici, je prends une citation d'un passage que j'avais trouvé sur internet, qui exprime une vision extrêmement banale, de quelqu'un qui disait, pour défendre sa consommation de foie gras, «Vous savez une chose: perso, je m'en fous complètement que ces bêtes souffrent». Il parle des canards, «car leur foie est tellement bon, puis ce ne sont que des bêtes», donc ce ne sont pas des membres de l'espèce humaine. «Il faut arrêter, vive le foie gras, vive le gavage.»

Donc, ce ne sont que des bêtes, ça veut dire que leur souffrance n'a aucune importance. C'est un jugement éthique sur le fait que quand on n'appartient pas à l'espèce humaine, sa souffrance n'a aucune importance.

En soi

Repère vidéo 10:44

Diapositive n°06.
6.

Là, j'en viens à cette expression «en soi», qui à mon avis est centrale dans la définition du spécisme.

En général, c'est assez facile de reconnaître un chat d'un humain, ou un chat d'un cochon. Il y a plein de différences, l'espèce n'est pas juste une différence abstraite et scientifique. L'espèce entraîne des conséquences.

Les humains, en général, ont peu de poils, il y a même un livre qui s'appelle «Le singe nu», qui nous définit comme étant des singes ayant perdu leurs poils, alors que nos très proches cousins, les chimpanzés communs, par exemple qu'on voit sur la photo, sont beaucoup plus poilus. On voit le contraste entre les deux. Il y a une corrélation entre le fait d'appartenir à l'espèce humaine et le fait de ne pas avoir de poils. L'espèce peut de fait impliquer des différences entre les individus, les humains sont généralement bien moins poilus que les chimpanzés communs.

Mais il peut y avoir des exceptions. Il y a par exemple des chats qui ont été modifiés génétiquement par l'élevage, par la sélection, et qui n'ont pas de poils, et il y a des humains qui par contre ont énormément de poils. Il peut y avoir des humains qui ont plus de poils que certains chats, alors que généralement c'est l'inverse.

Le spécisme, ce n'est pas de dire que telle ou telle caractéristique, qui dépend de l'espèce – le plus souvent, ou toujours, c'est-à-dire qui typiquement dépend de l'espèce – est moralement pertinente; le spécisme dit que l'espèce elle-même est moralement pertinente.

Repère vidéo 12:34

Diapositive n°07.
7.

Je vais illustrer cela avec une expérience imaginaire, donc en faisant un peu de science fiction, avec des extraterrestres.

J'imagine des pompiers qui sont sur la planète Arcturus 3 – Arcturus est le nom d'une étoile. Il y a donc des extraterrestres et parmi eux il y a des pompiers. Sur Arcturus 3 habitent des Groziloks, qui sont là depuis longtemps; depuis peu s'est installée une minorité de Pitiploks venue d'une autre galaxie, donc c'est une autre espèce.

Le matériel des pompiers est adapté aux Groziloks, qui typiquement sont plus grands que les Pitiploks, donc c'est facile à se rappeler: les Groziloks, ça commence par un «G», Pitiploks ça commence par un «P».

Repère vidéo 13:38

Diapositive n°08.
8.

De fait, les pompiers ont un matériel adapté à la taille des Groziloks et refusent d'embaucher des Pitiploks parce qu'ils disent qu'ils sont trop petits, qu'ils ne peuvent pas monter sur les échelles faites pour les Groziloks. Donc les pompiers n'embauchent de fait que des Groziloks.

Ils utilisent comme critère d'embauche la taille, pas l'espèce.

Donc, ils ne sont pas en train de pratiquer une discrimination spéciste parce que leur discrimination est en fonction de la taille. On peut dire «bon, peut-être qu'ils pourraient faire un effort», faire des échelles avec des barreaux plus serrés, mais quoi qu'il en soit, même si, peut-être, ils ont tort de faire cette discrimination en fonction de la taille, en tout cas ils ne sont pas en train de faire une discrimination spéciste.

Donc, le non-spécisme n'implique pas nécessairement qu'on traite de manière identique les individus d'espèces différentes, parce qu'il peut y avoir de fait des raisons qui ne sont pas spécistes de faire cette différence de traitement.

Repère vidéo 14:45

Diapositive n°09.
9.

Mais on peut supposer, par exemple, qu'il y a des exceptions, qu'il y a un monsieur que j'appelle Gropiti qui est un Grozilok particulièrement petit. Plus petit qu'un Grozilok typique.

Monsieur Pitigran, par contre, est un Pitiplok particulièrement grand. Et je suppose que monsieur Pitigran est plus grand que monsieur Gropiti, contrairement à ce qui se passe pour les individus typiques de ces deux espèces. On a donc le cas d'un individu Pitiplok qui est plus grand qu'un individu Grozilok. Supposons que les pompiers acceptent d'embaucher monsieur Gropiti alors qu'il est petit, et pas monsieur Pitigran alors qu'il est grand.

Cela montre que les pompiers sont en train de pratiquer en réalité une discrimination spéciste, c'est-à-dire qu'ils discriminent non en fonction de la taille, mais de l'espèce. Même si dans le cas précédent on ne pouvait pas savoir et qu'on pouvait penser qu'ils discriminaient suivant la taille et donc qu'ils n'étaient pas spécistes, ici on a le fait qu'ils sont en train de discriminer suivant l'espèce en soi, indépendamment des caractéristiques qui sont liées à l'espèce.

Je pense que cette notion de discrimination suivant l'espèce en soi est assez importante parce que c'est elle qui permet de montrer que le spécisme ne tient pas debout.

Repère vidéo 16:18

Diapositive n°10.
10.

J'en viens donc à la faiblesse du spécisme.

Repère vidéo 16:20

Diapositive n°11.
11.

Déjà il faut bien comprendre ce qu'est la notion d'espèce, parce que je pense qu'il y a beaucoup de personnes, encore aujourd'hui, 160 ans après la publication de L'origine des espèces de Darwin, qui ont une conception très archaïque de la notion d'espèce et qui en particulier ont gardé la conception ancienne de l'espèce comme étant la nature d'un être, comme étant son essence; qui ont la conception essentialiste de l'espèce, laquelle subsiste encore aujourd'hui, y compris chez beaucoup de biologistes qui n'ont pas mis leur logiciel à jour.

Je pense que c'est assez grave, mais c'est une réalité, et aussi cette conception erronée de l'espèce subsiste presque unanimement chez les personnes de formation littéraire, philosophique ou autre. C'est vraiment une erreur fondamentale.

Avant Darwin, avant la Théorie de l'évolution, on voyait les espèces comme fixes, comme ayant été créées il y a peut-être cinq mille ans avant l'ère chrétienne, par Dieu, et n'évoluant pas. Chaque espèce avait une essence différente.

Dire qu'elles avaient une essence différente, c'est par exemple quand on dit «un chat a une essence de carnivore donc le chat doit chasser». On entend souvent ce raisonnement. L'essence est censée être une chose intérieure, qui définit l'individu et lui donne aussi des obligations comportementales.

C'est une vision très présente aussi dans la distinction homme/femme, ou aussi dans le racisme, cet essentialisme; on dit par exemple «une femme qui ne se comporte pas comme une femme, ce n'est pas une vraie femme», car elle se comporte contrairement à son essence.

De même, on parle des hommes «féminisés» – «ohlala! honte à lui! il est en train de désobéir à son essence qui dit qu'il doit être “un vrai homme”».

En biologie, aujourd'hui, ça n'existe pas. Enfin, ça n'existe pas, ça ne devrait pas exister puisque en principe le darwinisme a été reconnu. L'apparition des espèces c'est simplement une suite de mutations accidentelles, une accumulation d'accidents. L'espèce est une notion qui distingue les populations, pas les individus: dire qu'un chat fait partie de l'espèce... je crois que c'est Felis domesticus, c'est une affirmation qui ne correspond pas à une caractéristique vraiment à lui, c'est une caractéristique collective, qui est qu'il peut se reproduire avec les autres individus du même groupe.

Donc, l'espèce est une chose qui distingue les populations et qui ne constitue pas en soi une caractéristique des individus. Ainsi, c'est une chose extrêmement superficielle. L'espèce n'est rien de plus que ça, c'est à dire que nulle part dans la biologie moderne on n'est censé trouver quelque chose qui soit de l'ordre de l'essence, de la vérité d'un être ou quelque chose comme ça.

Repère vidéo 19:43

Diapositive n°12.
12.

Est-ce que cette espèce, cette notion d'espèce, peut être un critère éthique pertinent?

Il y a une règle d'éthique qui remonte à Aristote, qui dit qu'il faut traiter de façon semblable les cas semblables. Je note que pour traiter des êtres différemment, il faut pouvoir citer une différence, mais on ne peut pas citer n'importe quelle différence. Car si on pouvait citer n'importe quelle différence, la règle serait vide. On pourrait dire «toi, je t'enferme, je t'engraisse pour te manger, parce que toi, tu as un furoncle, alors que l'autre là, je considère que sa vie est sacrée parce qu'il n'a pas de furoncle». Si on pouvait citer n'importe quelle différence pour justifier une différence de traitement, puisqu'il y a toujours des différences entre les individus, on pourrait toujours trouver une différence et dire que ça justifie la différence de traitement.

Ce qu'il faut, c'est que la différence qu'on cite soit pertinente, c'est à dire qu'il y ait réellement un raisonnement permettant de passer de l'un à l'autre.

Repère vidéo 20:56

Diapositive n°13.
13.

Donc, les éthiques différentes peuvent retenir comme pertinents différents critères, mais il faut quand même qu'il y ait un raisonnement justifiant la pertinence du critère. Quelques candidats de critères éthiquement pertinents suivant les différentes sortes d'éthique:

La sentience, c'est le candidat que je considère personnellement comme le meilleur. Les êtres sentients sont ceux qui ressentent des choses.

Le fait d'être à l'image de Dieu. Les personnes qui sont croyantes et qui croient dans le récit de la Genèse pensent que les humains ont été faits à l'image de Dieu, donc qu'il y a une chose de nature très différente chez les humains.

Posséder la liberté, c'est un critère qui a été mis en avant il y a une vingtaine d'années par un certain Luc Ferry.

Être rationnel, ou intelligent: c'est un vieux critère. La faculté de parler, être les plus forts, pourquoi pas, c'est le plus fort qui gagne. Être les sujets d'une vie: c'est un critère mis en avant par un animaliste, Tom Regan, un théoricien des droits. Sujet d'une vie, ça veut dire être quelqu'un pour qui la vie peut se dérouler bien ou mal, ce genre de choses.

Mais dans tous les cas, pour soutenir qu'un critère est éthiquement pertinent, il faut argumenter qu'il y a un rapport entre ce critère et le statut éthique. On ne peut pas simplement citer n'importe quoi parce que ça nous fait plaisir de dire que c'est éthiquement pertinent.

Repère vidéo 22:37

Diapositive n°14.
14.

Par exemple, si on disait: «seuls comptent éthiquement les individus nés un mardi», si vous êtes né un mardi on ne vous mangera pas, si vous êtes né un mercredi on peut vous manger, la question immédiate c'est: «Pourquoi un mardi? Quel rapport?»

Pourquoi le jour de naissance serait-il un critère éthique? On voit qu'il faut qu'il y ait un argument pour ça. La condition minimale est qu'on ait présenté un argument soutenant le rapport.

Là, je présente un type d'argument – ce n'est pas que je sois d'accord avec ce type d'argument, mais au moins c'est un argument qui est présenté: «Seuls les êtres rationnels peuvent créer une éthique. Donc seuls les êtres rationnels sont concernés par l'éthique». C'est un type d'argument qui revient souvent.

Cet argument est en faveur non pas du spécisme, mais en faveur de la discrimination en fonction du fait d'être un être rationnel. Il dirait, par exemple, que les handicapés mentaux profonds, qui ne sont pas des êtres rationnels, ne comptent pas, alors que certains animaux non humains peut-être sont très rationnels et donc comptent et il ne faut pas les manger.

Repère vidéo 23:52

Diapositive n°15.
15.

L'existence d'un argument défendant rapport est une condition nécessaire. Quels sont les arguments qui existent pour défendre le spécisme?

Les arguments présentés pour défendre l'espèce comme critère éthique pertinent, ce que je remarque c'est que de fait, il n'y en a pas.

C'est à dire qu'on a beau chercher dans la littérature parmi tous les gens qui fustigent les antispécistes, qui disent que les antispécistes sont complètement fous, comme dans un bouquin qui est sorti récemment, qui considèrent qu'il est scandaleux de tuer un être humain, alors que tuer un animal est complètement anodin, ils ne présentent jamais d'arguments réels pour dire que l'espèce est un critère éthique pertinent.

Bon, je vais apporter quelques nuances parce qu'ils essayent quand même d'en présenter, mais je vais en montrer la vacuité.

Repère vidéo 24:54

Diapositive n°16.
16.

(J'ai un slide vide...)

Repère vidéo 25:03

Diapositive n°17.
17.

Avant de présenter les «arguments» qui sont quand même mis en avant par les défenseurs du spécisme, je note que la force de cette façon de définir le spécisme c'est qu'elle inverse la charge de la preuve, c'est à dire qu'on dit que ce n'est pas aux antispécistes de prouver que les spécistes ont tort. Simplement on s'assoit et on attend.

C'est aux spécistes de présenter leurs arguments, c'est aux spécistes qu'incombe la charge de la preuve. S'ils veulent démontrer qu'on a le droit de tuer les cochons mais pas les humains, c'est à eux de dire pourquoi.

Leur justification, je note, doit être d'une solidité à la hauteur du caractère dramatique de la différence de traitement qu'elle doit fonder. On a en effet d'un côté la vie sacrée et de l'autre côté, les non humains, ce sont des bêtes d'abattoir.

C'est vraiment tout ou rien. On a la vie sacrée d'un côté et de l'autre côté on peut subir n'importe quel mauvais traitement, tout ça en fonction de l'espèce.

Pour justifier le spécisme, ils doivent présenter non seulement des arguments, mais ils devraient présenter des arguments forts, des arguments très plausibles, des arguments pratiquement indiscutables.

Pour expliquer ce que je veux dire en disant que c'est à eux qu'incombe la charge de la preuve, je prends l'exemple du septimanisme. J'appelle ainsi la discrimination en fonction du jour de semaine de naissance: notre vie est sacrée si, et seulement si, on est né un mardi. C'est aux septimanistes de donner un argument. On ne va pas juste dire: «Oui, bon, tu as dit ça, donc j'accepte que toi qui es né un mardi, et bien, tu as le droit d'exploiter tous les autres qui sont nés les autres jours de la semaine.»

Repère vidéo 27:05

Diapositive n°18.
18.

Concernant ce résultat, que je vais encore justifier un peu, c'est-à-dire cette absence d'arguments, de justification donnée: s'il y a une absence de justification donnée pour le spécisme, pour la discrimination en fonction de l'espèce en soi, ce n'est pas faute d'avoir cherché des arguments justifiant que seuls les humains ont une dignité, que seuls les humains ont des droits, que seuls les humains sont à l'image de Dieu, etc. S'ils ont cherché pendant des siècles et qu'ils n'ont pas trouvé, c'est un indice puissant du fait que ces arguments, on ne peut pas les trouver.

Aussi, si personne n'a trouvé de justification rationnelle pour le spécisme, cela signifie aussi que les gens sont spécistes non sur la base d'une justification rationnelle, ou d'une justification quelconque, ils sont spécistes pour d'autres raisons. Et s'ils sont spécistes pour des raisons qui ne sont pas des justifications, alors le fait qu'ils soient spécistes n'a pas de poids.

En général, le fait que tout le monde pense ceci ou cela a un certain poids. On considère que si tout le monde est d'accord que la Terre est ronde, par exemple, ils ont quand même sans doute raison, on ne va quand même pas forcément tout vérifier. L'opinion commune, la prend comme quelque chose qui a une certaine validité, même si on va dire que c'est un peu un sophisme de la foule de dire que parce que tout le monde pense ça, c'est forcément vrai, mais c'est vrai que cela a quand même une certaine vraisemblance. Mais si on découvre que tout le monde pense une chose sans qu'aucun ne soit capable de présenter un argument en faveur de cette chose, la plausibilité du spécisme n'est plus soutenue par le fait que ce soit une opinion aussi majoritaire.

Donc si tout le monde croit au spécisme sans justification, le spécisme n'a pas de plausibilité. Le fait que personne ne trouve d'arguments en faveur du spécisme en soi est quelque chose qui met le spécisme en grande difficulté.

Repère vidéo 29:38

Diapositive n°19.
19.

Là, je cite Paul Sugy, l'auteur d'un livre sorti récemment, L'extinction de l'homme – le projet fou des antispécistes. On est fous parce qu'on a un projet que lui n'est même pas capable de contredire, et il l'avoue.

il dit: «L'incapacité dans laquelle nous sommes de justifier de notre propre légitimité face à une remise en question aussi radicale et essentielle – par l'antispécisme – du projet humaniste – donc du projet spéciste – en dit long sur la fragilité du spécisme, de l'humanisme». Il appelle «humanisme» le fait de dire «les humains d'abord», «seuls les humains comptent réellement, etc.».

J'ai sauté ce qu'il dit entre parenthèses. Il dit que pour le moment on n'a pas trouvé, qu'on a été incapable de justifier le spécisme, mais puisse l'avenir nous donner tort! C'est-à-dire que ça fait 2000 ans qu'on cherche, mais il espère encore qu'à l'avenir on trouvera un argument. En attendant, il pourrait appliquer le principe de précaution et dire «bon, on arrête de massacrer les animaux par milliards» – comme l'on a vu dans la conférence précédente de Florence Dellerie. Par principe de précaution, simplement parce qu'on n'a pas trouvé d'argument, on n'est pas tout à fait sûr que le spécisme soit justifié. En fait non, Paul Sugy dit qu'il faut absolument continuer à tuer les animaux pour éviter de laisser croire qu'on n'est pas sûrs d'avoir raison, même si on est obligé d'admettre qu'on n'a pas vraiment d'argument pour prouver qu'on a raison.

C'est assez éclatant comme aveu, je trouve. On en parlera peut-être dimanche parce qu'il y aura un débat avec Paul Sugy. Mais il faut voir que même les spécistes admettent leur incapacité.

Repère vidéo 31:22

Diapositive n°20.
20.

Il y a quand même deux tentatives dont je parlais de justification du spécisme.

La première c'est l'appel à des caractères collectifs, donc à l'Histoire, au langage, à l'écriture, aux lois, etc. L'appel à des caractères collectifs, c'est discrédité d'emblée, parce que les caractères collectifs sont des caractères justement collectifs, alors que le spécisme concerne le traitement des individus. Ce n'est pas parce que «l'homme est allé sur la Lune» que moi je serais allé sur la Lune. Je ne suis pas allé sur la Lune et je n'ai pas à avoir de fierté d'être allé sur la Lune, pas plus que je ne vais avoir de fierté du fait que la France a gagné la dernière Coupe d'Europe – ou pas, je ne sais pas.

Donc les caractéristiques collectives sont hors champ pour justifier le spécisme.

La seconde est plus fondamentale.

En pratique le spécisme apparaît comme un essentialisme, c'est-à-dire que ça fonctionne suivant un mécanisme qui est commun au racisme et au sexisme.

Repère vidéo 32:26

Diapositive n°21.
21.

On voit l'espèce comme une essence, c'est la vision pré-darwinienne de l'espèce. On voit cette essence comme partagée par les humains et eux seuls, ce qui est logique: si l'espèce c'est une essence, elle appartient à tous les humains, à tous les membres de cette espèce.

Les caractéristiques collectives sont vues non comme des justifications des droits des humains, mais comme des signes montrant l'existence de cette essence et montrant la supériorité de l'essence humaine. Cette supériorité justifie le mauvais traitement des autres animaux.

À partir du moment où les caractères collectifs, l'Histoire, le fait d'être allé sur la Lune, etc. sons vus comme des signes de supériorité de l'essence humaine, on comprend que cette essence étant partagée, suivant cette conception, par tous les humains, même quelqu'un qui serait bien incapable de concevoir quoi que ce soit de l'ordre de la fusée pour aller sur la Lune partage cette essence supérieure, qui a été prouvée supérieure par le fait que d'autres sont allés sur la Lune.

Ce raisonnement par l'essence ne fonctionne que si on oublie Darwin, parce que l'espèce de fait ce n'est pas une essence, c'est une accumulation de mutations accidentelles.

Une caractéristique commune à toutes ces attributions d'essence, que ce soit suivant la race, le sexe ou le l'espèce, c'est que l'essence fonctionne toujours comme un pont entre le descriptif et le prescriptif. C'est-à-dire, parce que les humains sont allés sur la Lune, leur essence est supérieure, et parce que leur essence est supérieure, ils ont le droit de tuer les autres animaux. Le descriptif décrit le simple fait que les humains sont allés sur la Lune, et le prescriptif, le normatif comme on dit aussi, dit que les humains ont des droits, etc.

Normalement, on admet qu'entre le descriptif et le prescriptif, il y a un hiatus, c'est-à-dire qu'on ne peut pas passer simplement du descriptif au prescriptif, mais l'essence est une chose qui permet ce tour de passe-passe.

Repère vidéo 34:55

Diapositive n°22.
22.

Voilà, j'en termine en parlant de la force de l'antispécisme, du fait que personne ne défend réellement le spécisme, qui est probablement impossible à défendre de l'aveu même d'un certain nombre de spécistes, et du fait que sur cette base, on peut le voir comme la pierre angulaire du mouvement animaliste.

L'antispécisme est fort parce que c'est pierre angulaire extrêmement forte; parce que c'est une thèse modeste, c'est-à-dire qui dit peu de choses: l'espèce n'est pas en soi un critère éthique, et donc c'est aux spécistes de prouver leur position.

Il faut noter que le fait de dire que l'espèce en soi n'est pas un critère éthique ne permet pas de dire quelle est l'éthique particulière juste. Ça dit simplement que, quelle que soit l'éthique que nous voulons adopter, par exemple, l'utilitarisme, à laquelle j'adhère, la théorie des droits, la théorie de la vertu, le kantisme et d'autres visions éthiques qu'on peut avoir, quelle que soit cette théorie éthique, il faut qu'elle soit indépendante de l'espèce, c'est-à-dire qu'elle ne considère pas l'espèce comme un critère pertinent.

On a besoin de construire une éthique non spéciste, mais l'antispécisme en soi ne dépend pas de cette construction. Si au contraire on met d'emblée en avant, dans l'animalisme, une éthique particulière, on a à justifier cette éthique particulière, ce qui est une tâche beaucoup plus lourde que simplement dire: «non, le spécisme n'est pas justifiable».

J'aurais aimé développer un petit peu ces derniers points sur la force de l'antispécisme, mais je m'arrête là parce que sinon on n'aura pas de temps du tout pour la discussion.

Je vous remercie.

La transcription

Merci. J'ai une demi-heure en principe pour faire cette présentation sur la question de ce qu'est le spécisme. Je vais essayer de faire vite parce qu'on a un peu de retard sur le programme.

Je vous remercie tous d'être là, ici dans la salle, et qui nous regardez en direct. Je remercie aussi les Estivales de m'avoir invité pour faire cette présentation de cette notion du spécisme, qui est, je pense, centrale, même si on peut très bien être animaliste sans se dire antispéciste – il y en a, et l'antispécisme n'est pas un credo.

Et aussi, il y a différentes façons de définir le spécisme. Celle que je présente est celle qui, je pense, est la plus modeste et donc la plus forte dans un sens, c'est à dire celle qui permet le plus d'enfoncer un coin dans le système spéciste.

Qu'est ce que l'antispécisme?

C'est comme quand on dit qu'on est antiraciste ou antisexiste: on est contre quelque chose, donc on est antispéciste quand on s'oppose au spécisme, et le spécisme c'est la discrimination entre les individus en fonction de leur espèce.

Ça, c'est une définition très ramassée. On va voir qu'il y a besoin de préciser un certain nombre de choses.

Tout comme on parle de racisme comme étant discrimination en fonction de la race, du sexisme comme discrimination en fonction du sexe, le spécisme, c'est en fonction de l'espèce.

Alors, qu'est ce que c'est que l'espèce? En deux mots: on parle d'espèce humaine, d'espèce «chat», d'espèce «chien», «porc», «saumon», etc. C'est donc, à la base, une division biologique qui classe les individus en groupes qu'on appelle «espèces».

Quand on parle de spécisme, il pourrait s'agir de s'opposer à la discrimination entre les chiens et les chats, par exemple, mais en fait ce qu'on a vraiment en tête c'est la discrimination entre les humains d'une part, qui sont une espèce animale, et les autres animaux, donc au détriment des autres animaux et en faveur des humains.

Quand je parle de discrimination, il s'agit de discriminations entre individus; il faut bien comprendre que la question n'est pas celle de dire: «Est-ce que tel groupe, que telle espèce est plus importante que telle autre espèce, ou plus intelligente», etc.; il s'agit d'une question d'individus, de discrimination contre un individu en faveur d'un autre individu.

Par exemple, on ne tue pas un être humain – ça constitue un grand crime de tuer un être humain – mais il est parfaitement anodin de tuer un cochon. Donc c'est une question entre individus et la manière dont on les traite.

Le spécisme et l'antispécisme, ce sont des positions qui appartiennent au champ de l'éthique. Quand je dis qu'il s'agit du champ de l'éthique, cela ne veux pas dire que le spécisme ou l'antispécisme ont raison, sont des comportements justes, mais simplement que ce sont des thèses dans le champ de l'éthique, des thèses qui concernent l'éthique.

La définition que je prends du spécisme, donc de l'idéologie contre laquelle je me bats, est celle-ci:

«Le spécisme est l'affirmation selon laquelle l'espèce d'un individu constitue en soi un critère éthique pertinent.»

L'expression «en soi» est ici extrêmement importante, je vais passer plusieurs diapos sur cette question.

Mais d'abord, voyons l'expression «critère éthique pertinent», pour qu'il soit clair de quoi on parle. Il y a différentes façons de concevoir l'éthique, c'est-à-dire la question de la façon juste d'agir. Aussi, certaines personnes incluent dans l'éthique le jugement sur la nature des êtres, consistant à dire que certains êtres sont d'une nature supérieure ou inférieure, ou encore que certains êtres sont coupables, ou sont innocents... Certaines personnes disent que l'éthique, ça concerne le fait de déclarer qui a des droits, que certaines personnes ont des droits, ou que ça concerne l'attribution de dignité, ou l'attribution d'une valeur à la vie, dire que telle personne vaut plus que telle autre personne, etc.

Donc toutes ces questions sont considérées classiquement comme faisant partie de l'éthique. Pour moi, l'éthique c'est à la base la question de la manière dont on traite un être, et comme je disais, la question ici est de savoir pourquoi on considère qu'il est normal de tuer un cochon simplement parce qu'on aime le goût de sa chair, alors que, pour un humain, ce serait une chose considérée comme extrêmement grave.

Toutes ces façons de définir l'éthique sont compatibles avec la définition que j'ai donnée du spécisme, c'est à dire avec le fait de dire qu'il s'agit de prendre l'espèce comme critère éthique. Par exemple, on dira: «Les cochons n'ont pas de droits, mais les humains ont des droits, parce que les cochons n'appartiennent pas à l'espèce humaine»; que les humains ont une nature supérieure parce qu'ils appartiennent à l'espèce humaine, que les humains et eux seuls ont une dignité, etc.

C'est-à-dire que la définition que je donne du spécisme n'est pas spécifique à une vision éthique particulière. Je pense que ce fait est assez important parce que souvent quand on parle de spécisme et d'antispécisme, on va nous demander de justifier tel ou tel système éthique. Là, je suis simplement en train de dire: penchons-nous sur la question de savoir pourquoi l'espèce serait un critère éthique.

Voici un exemple de la manière dont on discrimine en fonction de l'espèce. Quand on dit «c'est un humain», donc membre de l'espèce humaine, sa vie est sacrée et c'est extrêmement grave de le tuer; «c'est un cochon», donc membre d'une autre espèce, donc sa vie n'a aucune importance, le tuer est un acte anodin. Ici, je prends une citation d'un passage que j'avais trouvé sur internet, qui exprime une vision extrêmement banale, de quelqu'un qui disait, pour défendre sa consommation de foie gras, «Vous savez une chose: perso, je m'en fous complètement que ces bêtes souffrent». Il parle des canards, «car leur foie est tellement bon, puis ce ne sont que des bêtes», donc ce ne sont pas des membres de l'espèce humaine. «Il faut arrêter, vive le foie gras, vive le gavage.»

Donc, ce ne sont que des bêtes, ça veut dire que leur souffrance n'a aucune importance. C'est un jugement éthique sur le fait que quand on n'appartient pas à l'espèce humaine, sa souffrance n'a aucune importance.

Là, j'en viens à cette expression «en soi», qui à mon avis est centrale dans la définition du spécisme.

En général, c'est assez facile de reconnaître un chat d'un humain, ou un chat d'un cochon. Il y a plein de différences, l'espèce n'est pas juste une différence abstraite et scientifique. L'espèce entraîne des conséquences.

Les humains, en général, ont peu de poils, il y a même un livre qui s'appelle «Le singe nu», qui nous définit comme étant des singes ayant perdu leurs poils, alors que nos très proches cousins, les chimpanzés communs, par exemple qu'on voit sur la photo, sont beaucoup plus poilus. On voit le contraste entre les deux. Il y a une corrélation entre le fait d'appartenir à l'espèce humaine et le fait de ne pas avoir de poils. L'espèce peut de fait impliquer des différences entre les individus, les humains sont généralement bien moins poilus que les chimpanzés communs.

Mais il peut y avoir des exceptions. Il y a par exemple des chats qui ont été modifiés génétiquement par l'élevage, par la sélection, et qui n'ont pas de poils, et il y a des humains qui par contre ont énormément de poils. Il peut y avoir des humains qui ont plus de poils que certains chats, alors que généralement c'est l'inverse.

Le spécisme, ce n'est pas de dire que telle ou telle caractéristique, qui dépend de l'espèce – le plus souvent, ou toujours, c'est-à-dire qui typiquement dépend de l'espèce – est moralement pertinente; le spécisme dit que l'espèce elle-même est moralement pertinente.

Je vais illustrer cela avec une expérience imaginaire, donc en faisant un peu de science fiction, avec des extraterrestres.

J'imagine des pompiers qui sont sur la planète Arcturus 3 – Arcturus est le nom d'une étoile. Il y a donc des extraterrestres et parmi eux il y a des pompiers. Sur Arcturus 3 habitent des Groziloks, qui sont là depuis longtemps; depuis peu s'est installée une minorité de Pitiploks venue d'une autre galaxie, donc c'est une autre espèce.

Le matériel des pompiers est adapté aux Groziloks, qui typiquement sont plus grands que les Pitiploks, donc c'est facile à se rappeler: les Groziloks, ça commence par un «G», Pitiploks ça commence par un «P».

De fait, les pompiers ont un matériel adapté à la taille des Groziloks et refusent d'embaucher des Pitiploks parce qu'ils disent qu'ils sont trop petits, qu'ils ne peuvent pas monter sur les échelles faites pour les Groziloks. Donc les pompiers n'embauchent de fait que des Groziloks.

Ils utilisent comme critère d'embauche la taille, pas l'espèce.

Donc, ils ne sont pas en train de pratiquer une discrimination spéciste parce que leur discrimination est en fonction de la taille. On peut dire «bon, peut-être qu'ils pourraient faire un effort», faire des échelles avec des barreaux plus serrés, mais quoi qu'il en soit, même si, peut-être, ils ont tort de faire cette discrimination en fonction de la taille, en tout cas ils ne sont pas en train de faire une discrimination spéciste.

Donc, le non-spécisme n'implique pas nécessairement qu'on traite de manière identique les individus d'espèces différentes, parce qu'il peut y avoir de fait des raisons qui ne sont pas spécistes de faire cette différence de traitement.

Mais on peut supposer, par exemple, qu'il y a des exceptions, qu'il y a un monsieur que j'appelle Gropiti qui est un Grozilok particulièrement petit. Plus petit qu'un Grozilok typique.

Monsieur Pitigran, par contre, est un Pitiplok particulièrement grand. Et je suppose que monsieur Pitigran est plus grand que monsieur Gropiti, contrairement à ce qui se passe pour les individus typiques de ces deux espèces. On a donc le cas d'un individu Pitiplok qui est plus grand qu'un individu Grozilok. Supposons que les pompiers acceptent d'embaucher monsieur Gropiti alors qu'il est petit, et pas monsieur Pitigran alors qu'il est grand.

Cela montre que les pompiers sont en train de pratiquer en réalité une discrimination spéciste, c'est-à-dire qu'ils discriminent non en fonction de la taille, mais de l'espèce. Même si dans le cas précédent on ne pouvait pas savoir et qu'on pouvait penser qu'ils discriminaient suivant la taille et donc qu'ils n'étaient pas spécistes, ici on a le fait qu'ils sont en train de discriminer suivant l'espèce en soi, indépendamment des caractéristiques qui sont liées à l'espèce.

Je pense que cette notion de discrimination suivant l'espèce en soi est assez importante parce que c'est elle qui permet de montrer que le spécisme ne tient pas debout.

J'en viens donc à la faiblesse du spécisme.

Déjà il faut bien comprendre ce qu'est la notion d'espèce, parce que je pense qu'il y a beaucoup de personnes, encore aujourd'hui, 160 ans après la publication de L'origine des espèces de Darwin, qui ont une conception très archaïque de la notion d'espèce et qui en particulier ont gardé la conception ancienne de l'espèce comme étant la nature d'un être, comme étant son essence; qui ont la conception essentialiste de l'espèce, laquelle subsiste encore aujourd'hui, y compris chez beaucoup de biologistes qui n'ont pas mis leur logiciel à jour.

Je pense que c'est assez grave, mais c'est une réalité, et aussi cette conception erronée de l'espèce subsiste presque unanimement chez les personnes de formation littéraire, philosophique ou autre. C'est vraiment une erreur fondamentale.

Avant Darwin, avant la Théorie de l'évolution, on voyait les espèces comme fixes, comme ayant été créées il y a peut-être cinq mille ans avant l'ère chrétienne, par Dieu, et n'évoluant pas. Chaque espèce avait une essence différente.

Dire qu'elles avaient une essence différente, c'est par exemple quand on dit «un chat a une essence de carnivore donc le chat doit chasser». On entend souvent ce raisonnement. L'essence est censée être une chose intérieure, qui définit l'individu et lui donne aussi des obligations comportementales.

C'est une vision très présente aussi dans la distinction homme/femme, ou aussi dans le racisme, cet essentialisme; on dit par exemple «une femme qui ne se comporte pas comme une femme, ce n'est pas une vraie femme», car elle se comporte contrairement à son essence.

De même, on parle des hommes «féminisés» – «ohlala! honte à lui! il est en train de désobéir à son essence qui dit qu'il doit être “un vrai homme”».

En biologie, aujourd'hui, ça n'existe pas. Enfin, ça n'existe pas, ça ne devrait pas exister puisque en principe le darwinisme a été reconnu. L'apparition des espèces c'est simplement une suite de mutations accidentelles, une accumulation d'accidents. L'espèce est une notion qui distingue les populations, pas les individus: dire qu'un chat fait partie de l'espèce... je crois que c'est Felis domesticus, c'est une affirmation qui ne correspond pas à une caractéristique vraiment à lui, c'est une caractéristique collective, qui est qu'il peut se reproduire avec les autres individus du même groupe.

Donc, l'espèce est une chose qui distingue les populations et qui ne constitue pas en soi une caractéristique des individus. Ainsi, c'est une chose extrêmement superficielle. L'espèce n'est rien de plus que ça, c'est à dire que nulle part dans la biologie moderne on n'est censé trouver quelque chose qui soit de l'ordre de l'essence, de la vérité d'un être ou quelque chose comme ça.

Est-ce que cette espèce, cette notion d'espèce, peut être un critère éthique pertinent?

Il y a une règle d'éthique qui remonte à Aristote, qui dit qu'il faut traiter de façon semblable les cas semblables. Je note que pour traiter des êtres différemment, il faut pouvoir citer une différence, mais on ne peut pas citer n'importe quelle différence. Car si on pouvait citer n'importe quelle différence, la règle serait vide. On pourrait dire «toi, je t'enferme, je t'engraisse pour te manger, parce que toi, tu as un furoncle, alors que l'autre là, je considère que sa vie est sacrée parce qu'il n'a pas de furoncle». Si on pouvait citer n'importe quelle différence pour justifier une différence de traitement, puisqu'il y a toujours des différences entre les individus, on pourrait toujours trouver une différence et dire que ça justifie la différence de traitement.

Ce qu'il faut, c'est que la différence qu'on cite soit pertinente, c'est à dire qu'il y ait réellement un raisonnement permettant de passer de l'un à l'autre.

Donc, les éthiques différentes peuvent retenir comme pertinents différents critères, mais il faut quand même qu'il y ait un raisonnement justifiant la pertinence du critère. Quelques candidats de critères éthiquement pertinents suivant les différentes sortes d'éthique:

La sentience, c'est le candidat que je considère personnellement comme le meilleur. Les êtres sentients sont ceux qui ressentent des choses.

Le fait d'être à l'image de Dieu. Les personnes qui sont croyantes et qui croient dans le récit de la Genèse pensent que les humains ont été faits à l'image de Dieu, donc qu'il y a une chose de nature très différente chez les humains.

Posséder la liberté, c'est un critère qui a été mis en avant il y a une vingtaine d'années par un certain Luc Ferry.

Être rationnel, ou intelligent: c'est un vieux critère. La faculté de parler, être les plus forts, pourquoi pas, c'est le plus fort qui gagne. Être les sujets d'une vie: c'est un critère mis en avant par un animaliste, Tom Regan, un théoricien des droits. Sujet d'une vie, ça veut dire être quelqu'un pour qui la vie peut se dérouler bien ou mal, ce genre de choses.

Mais dans tous les cas, pour soutenir qu'un critère est éthiquement pertinent, il faut argumenter qu'il y a un rapport entre ce critère et le statut éthique. On ne peut pas simplement citer n'importe quoi parce que ça nous fait plaisir de dire que c'est éthiquement pertinent.

Par exemple, si on disait: «seuls comptent éthiquement les individus nés un mardi», si vous êtes né un mardi on ne vous mangera pas, si vous êtes né un mercredi on peut vous manger, la question immédiate c'est: «Pourquoi un mardi? Quel rapport?»

Pourquoi le jour de naissance serait-il un critère éthique? On voit qu'il faut qu'il y ait un argument pour ça. La condition minimale est qu'on ait présenté un argument soutenant le rapport.

Là, je présente un type d'argument – ce n'est pas que je sois d'accord avec ce type d'argument, mais au moins c'est un argument qui est présenté: «Seuls les êtres rationnels peuvent créer une éthique. Donc seuls les êtres rationnels sont concernés par l'éthique». C'est un type d'argument qui revient souvent.

Cet argument est en faveur non pas du spécisme, mais en faveur de la discrimination en fonction du fait d'être un être rationnel. Il dirait, par exemple, que les handicapés mentaux profonds, qui ne sont pas des êtres rationnels, ne comptent pas, alors que certains animaux non humains peut-être sont très rationnels et donc comptent et il ne faut pas les manger.

L'existence d'un argument défendant rapport est une condition nécessaire. Quels sont les arguments qui existent pour défendre le spécisme?

Les arguments présentés pour défendre l'espèce comme critère éthique pertinent, ce que je remarque c'est que de fait, il n'y en a pas.

C'est à dire qu'on a beau chercher dans la littérature parmi tous les gens qui fustigent les antispécistes, qui disent que les antispécistes sont complètement fous, comme dans un bouquin qui est sorti récemment, qui considèrent qu'il est scandaleux de tuer un être humain, alors que tuer un animal est complètement anodin, ils ne présentent jamais d'arguments réels pour dire que l'espèce est un critère éthique pertinent.

Bon, je vais apporter quelques nuances parce qu'ils essayent quand même d'en présenter, mais je vais en montrer la vacuité.

(J'ai un slide vide...)

Avant de présenter les «arguments» qui sont quand même mis en avant par les défenseurs du spécisme, je note que la force de cette façon de définir le spécisme c'est qu'elle inverse la charge de la preuve, c'est à dire qu'on dit que ce n'est pas aux antispécistes de prouver que les spécistes ont tort. Simplement on s'assoit et on attend.

C'est aux spécistes de présenter leurs arguments, c'est aux spécistes qu'incombe la charge de la preuve. S'ils veulent démontrer qu'on a le droit de tuer les cochons mais pas les humains, c'est à eux de dire pourquoi.

Leur justification, je note, doit être d'une solidité à la hauteur du caractère dramatique de la différence de traitement qu'elle doit fonder. On a en effet d'un côté la vie sacrée et de l'autre côté, les non humains, ce sont des bêtes d'abattoir.

C'est vraiment tout ou rien. On a la vie sacrée d'un côté et de l'autre côté on peut subir n'importe quel mauvais traitement, tout ça en fonction de l'espèce.

Pour justifier le spécisme, ils doivent présenter non seulement des arguments, mais ils devraient présenter des arguments forts, des arguments très plausibles, des arguments pratiquement indiscutables.

Pour expliquer ce que je veux dire en disant que c'est à eux qu'incombe la charge de la preuve, je prends l'exemple du septimanisme. J'appelle ainsi la discrimination en fonction du jour de semaine de naissance: notre vie est sacrée si, et seulement si, on est né un mardi. C'est aux septimanistes de donner un argument. On ne va pas juste dire: «Oui, bon, tu as dit ça, donc j'accepte que toi qui es né un mardi, et bien, tu as le droit d'exploiter tous les autres qui sont nés les autres jours de la semaine.»

Concernant ce résultat, que je vais encore justifier un peu, c'est-à-dire cette absence d'arguments, de justification donnée: s'il y a une absence de justification donnée pour le spécisme, pour la discrimination en fonction de l'espèce en soi, ce n'est pas faute d'avoir cherché des arguments justifiant que seuls les humains ont une dignité, que seuls les humains ont des droits, que seuls les humains sont à l'image de Dieu, etc. S'ils ont cherché pendant des siècles et qu'ils n'ont pas trouvé, c'est un indice puissant du fait que ces arguments, on ne peut pas les trouver.

Aussi, si personne n'a trouvé de justification rationnelle pour le spécisme, cela signifie aussi que les gens sont spécistes non sur la base d'une justification rationnelle, ou d'une justification quelconque, ils sont spécistes pour d'autres raisons. Et s'ils sont spécistes pour des raisons qui ne sont pas des justifications, alors le fait qu'ils soient spécistes n'a pas de poids.

En général, le fait que tout le monde pense ceci ou cela a un certain poids. On considère que si tout le monde est d'accord que la Terre est ronde, par exemple, ils ont quand même sans doute raison, on ne va quand même pas forcément tout vérifier. L'opinion commune, la prend comme quelque chose qui a une certaine validité, même si on va dire que c'est un peu un sophisme de la foule de dire que parce que tout le monde pense ça, c'est forcément vrai, mais c'est vrai que cela a quand même une certaine vraisemblance. Mais si on découvre que tout le monde pense une chose sans qu'aucun ne soit capable de présenter un argument en faveur de cette chose, la plausibilité du spécisme n'est plus soutenue par le fait que ce soit une opinion aussi majoritaire.

Donc si tout le monde croit au spécisme sans justification, le spécisme n'a pas de plausibilité. Le fait que personne ne trouve d'arguments en faveur du spécisme en soi est quelque chose qui met le spécisme en grande difficulté.

Là, je cite Paul Sugy, l'auteur d'un livre sorti récemment, L'extinction de l'homme – le projet fou des antispécistes. On est fous parce qu'on a un projet que lui n'est même pas capable de contredire, et il l'avoue.

il dit: «L'incapacité dans laquelle nous sommes de justifier de notre propre légitimité face à une remise en question aussi radicale et essentielle – par l'antispécisme – du projet humaniste – donc du projet spéciste – en dit long sur la fragilité du spécisme, de l'humanisme». Il appelle «humanisme» le fait de dire «les humains d'abord», «seuls les humains comptent réellement, etc.».

J'ai sauté ce qu'il dit entre parenthèses. Il dit que pour le moment on n'a pas trouvé, qu'on a été incapable de justifier le spécisme, mais puisse l'avenir nous donner tort! C'est-à-dire que ça fait 2000 ans qu'on cherche, mais il espère encore qu'à l'avenir on trouvera un argument. En attendant, il pourrait appliquer le principe de précaution et dire «bon, on arrête de massacrer les animaux par milliards» – comme l'on a vu dans la conférence précédente de Florence Dellerie. Par principe de précaution, simplement parce qu'on n'a pas trouvé d'argument, on n'est pas tout à fait sûr que le spécisme soit justifié. En fait non, Paul Sugy dit qu'il faut absolument continuer à tuer les animaux pour éviter de laisser croire qu'on n'est pas sûrs d'avoir raison, même si on est obligé d'admettre qu'on n'a pas vraiment d'argument pour prouver qu'on a raison.

C'est assez éclatant comme aveu, je trouve. On en parlera peut-être dimanche parce qu'il y aura un débat avec Paul Sugy. Mais il faut voir que même les spécistes admettent leur incapacité.

Il y a quand même deux tentatives dont je parlais de justification du spécisme.

La première c'est l'appel à des caractères collectifs, donc à l'Histoire, au langage, à l'écriture, aux lois, etc. L'appel à des caractères collectifs, c'est discrédité d'emblée, parce que les caractères collectifs sont des caractères justement collectifs, alors que le spécisme concerne le traitement des individus. Ce n'est pas parce que «l'homme est allé sur la Lune» que moi je serais allé sur la Lune. Je ne suis pas allé sur la Lune et je n'ai pas à avoir de fierté d'être allé sur la Lune, pas plus que je ne vais avoir de fierté du fait que la France a gagné la dernière Coupe d'Europe – ou pas, je ne sais pas.

Donc les caractéristiques collectives sont hors champ pour justifier le spécisme.

La seconde est plus fondamentale.

En pratique le spécisme apparaît comme un essentialisme, c'est-à-dire que ça fonctionne suivant un mécanisme qui est commun au racisme et au sexisme.

On voit l'espèce comme une essence, c'est la vision pré-darwinienne de l'espèce. On voit cette essence comme partagée par les humains et eux seuls, ce qui est logique: si l'espèce c'est une essence, elle appartient à tous les humains, à tous les membres de cette espèce.

Les caractéristiques collectives sont vues non comme des justifications des droits des humains, mais comme des signes montrant l'existence de cette essence et montrant la supériorité de l'essence humaine. Cette supériorité justifie le mauvais traitement des autres animaux.

À partir du moment où les caractères collectifs, l'Histoire, le fait d'être allé sur la Lune, etc. sons vus comme des signes de supériorité de l'essence humaine, on comprend que cette essence étant partagée, suivant cette conception, par tous les humains, même quelqu'un qui serait bien incapable de concevoir quoi que ce soit de l'ordre de la fusée pour aller sur la Lune partage cette essence supérieure, qui a été prouvée supérieure par le fait que d'autres sont allés sur la Lune.

Ce raisonnement par l'essence ne fonctionne que si on oublie Darwin, parce que l'espèce de fait ce n'est pas une essence, c'est une accumulation de mutations accidentelles.

Une caractéristique commune à toutes ces attributions d'essence, que ce soit suivant la race, le sexe ou le l'espèce, c'est que l'essence fonctionne toujours comme un pont entre le descriptif et le prescriptif. C'est-à-dire, parce que les humains sont allés sur la Lune, leur essence est supérieure, et parce que leur essence est supérieure, ils ont le droit de tuer les autres animaux. Le descriptif décrit le simple fait que les humains sont allés sur la Lune, et le prescriptif, le normatif comme on dit aussi, dit que les humains ont des droits, etc.

Normalement, on admet qu'entre le descriptif et le prescriptif, il y a un hiatus, c'est-à-dire qu'on ne peut pas passer simplement du descriptif au prescriptif, mais l'essence est une chose qui permet ce tour de passe-passe.

Voilà, j'en termine en parlant de la force de l'antispécisme, du fait que personne ne défend réellement le spécisme, qui est probablement impossible à défendre de l'aveu même d'un certain nombre de spécistes, et du fait que sur cette base, on peut le voir comme la pierre angulaire du mouvement animaliste.

L'antispécisme est fort parce que c'est pierre angulaire extrêmement forte; parce que c'est une thèse modeste, c'est-à-dire qui dit peu de choses: l'espèce n'est pas en soi un critère éthique, et donc c'est aux spécistes de prouver leur position.

Il faut noter que le fait de dire que l'espèce en soi n'est pas un critère éthique ne permet pas de dire quelle est l'éthique particulière juste. Ça dit simplement que, quelle que soit l'éthique que nous voulons adopter, par exemple, l'utilitarisme, à laquelle j'adhère, la théorie des droits, la théorie de la vertu, le kantisme et d'autres visions éthiques qu'on peut avoir, quelle que soit cette théorie éthique, il faut qu'elle soit indépendante de l'espèce, c'est-à-dire qu'elle ne considère pas l'espèce comme un critère pertinent.

On a besoin de construire une éthique non spéciste, mais l'antispécisme en soi ne dépend pas de cette construction. Si au contraire on met d'emblée en avant, dans l'animalisme, une éthique particulière, on a à justifier cette éthique particulière, ce qui est une tâche beaucoup plus lourde que simplement dire: «non, le spécisme n'est pas justifiable».

J'aurais aimé développer un petit peu ces derniers points sur la force de l'antispécisme, mais je m'arrête là parce que sinon on n'aura pas de temps du tout pour la discussion.

Je vous remercie.