La végéphobie est partie intégrante de l'oppression des animaux

Par David Olivier Whittier

J'ai écrit ce texte en réponse à l'article de Bertrand Cassegrain paru dans le journal genevois Le Courrier du 25 mai 2013 sous le titre «Qui dit préjugé ne dit pas forcément discrimination» et critiquant la notion de végéphobie.

Il a lui-même été publié dans Le Courrier du 20 juin 2013.

Les deux articles sont disponibles en différents formats dans mon grenier.

L'article de Bertrand Cassegrain publié dans le Courrier du 25 mai dernier a le mérite de rappeler que la notion de végéphobie ne fait pas l'unanimité, y compris parmi les personnes qui, comme lui, sont végétariennes par éthique. De fait, depuis la première Veggie Pride à Paris en 2001, la végéphobie fait débat au sein même de la mouvance animaliste. Les critiques sont bien représentées par le texte de M. Cassegrain et résultent d'une mauvaise compréhension de la notion et d'un défaut d'appréciation des faits.

Les animaux sont soumis à une violence inouïe. Dès lors que nous disons et montrons concrètement notre solidarité avec eux en refusant de manger leur corps, c'est-à-dire en étant végétariens, il est inévitable que cette violence déteigne sur la manière dont nous-mêmes sommes traités. C'est le contraire qui serait extraordinaire. Notre statut d'humains nous protège - jusqu'à un point. La végéphobie, c'est le décalque sur nous de la violence faite à eux.

La violence faite aux animaux n'est pas un simple processus mécanique. Elle est d'abord fondée sur un refus d'entendre: d'entendre le cri du cochon qui a peur et qui ne veut pas mourir, d'entendre l'appel de la vache qui veut retrouver son veau. La végéphobie, elle, est le refus d'entendre les végétariens: le refus de tout débat réel sur la légitimité de la consommation de la viande. La violence faite aux animaux est ensuite une contrainte: celle de mourir. À nous, la végéphobie veut imposer la contrainte de les manger.

M. Cassegrain nous reproche de jouer les victimes, à la place des animaux: «ce sont bien eux les victimes, pas nous, et ce sont eux qui devraient être mis en lumière». Cette opposition est absurde. Oui, la violence que nous subissons est plus douce que celle qui les frappe. Mais quand une cafétéria universitaire me refuse l'affiche de la Veggie Pride au motif que «les végétariens sont une secte», c'est nous et eux qu'on réduit au silence. Lorsqu'on force les parents à donner de la viande à leurs enfants par des arguments nutritionnels mensongers, c'est à ces humains et aux animaux qu'on impose la boucherie.

Photo de la Veggie Pride internationale, Genève 2013.
Photo de la Veggie Pride internationale, Genève 2013. Source blog «Végéphobie à la française» d'Ophélie Gimbert.

Aujourd'hui les animaux non humains ne possèdent, légalement, aucun droit. Nous militons pour que cela change, mais ne pouvons l'exiger. Mais nous pouvons exiger le respect de nos droits. Notre droit de refuser de participer à la boucherie et, plus important encore, notre droit de faire entendre la voix des animaux à travers la nôtre sont les seuls droits que ceux-ci possèdent aujourd'hui.

 

M. Cassegrain écarte la réalité concrète de la végéphobie en une phrase, affirmant que nous ne sommes pas discriminés à l'embauche, qu'on ne nous tabasse pas dans la rue, etc. Je renvoie le lecteur en particulier au site vegephobia.info, ainsi qu'à la brochure La Végéphobie1 et au site de la Veggie Pride 20132 pour les nombreux témoignages qui contredisent cette assertion. Voici seulement quelques exemples.

On ne nous tabasse pas? J'ai le souvenir des raclées reçues quand, petit, j'ai voulu refuser de manger les animaux. Le fait est courant. Adulte, j'ai été frappé dans la rue par des personnes qui haïssaient «les végétariens qui se croient supérieurs».

Discrimination à l'embauche? «[L'employeur] m'a dit, je cite, “je vois que vous vous intéressez à la protection animale, avez-vous une alimentation particulière?”, je lui ai donc dit que j'étais végétalienne. Sa réaction a été de [me dire] de foutre le camp parce qu'il ne voulait pas embaucher de terroristes3

La contrainte de manger les animaux est réelle pour une large part de la population, et passe par une désinformation médicale systématique. Que disent les autorités françaises aux adolescents végétariens? De manger du poisson. Et aux végétaliens? «Ne suis surtout pas ce régime4» L'attitude d'un médecin donné peut provenir d'un manque d'information. L'attitude des autorités publiques, par contre, constitue une rétention d'information délibérée. Pour verrouiller le tout, en France, depuis 2011 il est interdit par décret aux cantines scolaires de recevoir les végétariens, et même de servir un seul repas sans produits animaux5. Le résultat concret est l'interdiction de la solidarité avec les animaux pour des millions de familles.

Enfin, M. Cassegrain se moque de ce que nous nous plaignions des moqueries. Pourtant, celles-ci sont, lorsqu'elles sont systématiques, un mécanisme social féroce de répression. Par ailleurs, elles sabotent le débat. Lorsqu'à nos arguments éthiques on répond en nous traitant d'adorateurs de Bambi et par d'autres «arguments» auxquels même leurs auteurs ne croient pas, la contestation de l'ordre carnivore devient inaudible.

 

Notre emploi du terme «végéphobie» ne vise pas à escamoter le débat en «psychologisant» toute opposition à nos idées - en la faisant passer pour une pathologie mentale, une phobie. Ce ne serait pas de la végéphobie que de nous opposer avec sérieux de vrais arguments. Le débat de société sur la condition faite aux animaux doit avoir lieu. Nous demandons qu'il se déroule, sereinement, arguments contre arguments. Et que ceux qui ne veulent pas débattre se taisent.